Les préparations naturelles, une alternative aux produits phytopharmaceutiques ?

Comme évoqué dans un de nos précédents articles, l’agroécologie vise à tirer profit de son environnement au maximum. L’utilisation de préparations naturelles peut ainsi permettre aux cultures de lutter contre certains stress (biotiques[1] ou abiotiques[2]) et ainsi de limiter le recours aux produits phytopharmaceutiques. Dans ce nouvel article, nous expliquons ce qu’est une préparation naturelle, quels sont ses avantages et quels types de préparations utiliser. Enfin, nous vous présentons les résultats d’un essai réalisé sur notre ferme pilote dans les Yvelines !

Qu’est ce qu’une préparation naturelle ?

La législation définit les “préparations naturelles peu préoccupantes” (PNPP) comme des produits utilisables pour un usage phytosanitaire mais ne nécessitant pas d’autorisation de mise sur le marché (AMM)[3]. Ce ne sont donc pas des produits phytopharmaceutiques (DRAAF, 2022). Parmi les PNPP, on distingue deux catégories de produits :

  • les substances de base : ce sont des substances à intérêt phytosanitaire mais dont l’utilisation principale est autre que la protection des plantes (exemples : lait de vache, vinaigre, sucre…). Elles sont autorisées pour une utilisation précise. Par exemple, en maraîchage, le vinaigre est autorisé en traitement de semence et pour la désinfection des outils.
  • les substances naturelles à usage biostimulant (SNUB) : substances d’origine végétale, animale ou minérale, à l’exclusion des micro-organismes, non génétiquement modifiées (exemples : décoction d’ail, purin d’ortie, macération de rhubarbe…). Une substance naturelle à usage biostimulant est soit :
    • une plante ou partie de plantes médicinales inscrites à la pharmacopée[4];
    • issue des parties consommables de plantes utilisées en alimentation animale ou humaine qui entrent dans la composition d’une préparation naturelle peu préoccupante conforme au cahier des charges “CDC Plantes consommables”.

L’intérêt d’une préparation naturelle face à un produit phytopharmaceutique

Les PNPP présentent l’avantage d’être moins, voire pas, dangereux pour l’utilisateur et pour l’environnement. Cela est particulièrement vrai pour les SNUB, et notamment celles qui sont facilement réalisables à la ferme, comme les extraits fermentés (purins, macérations) ou encore les tisanes et décoctions. Il faut cependant être vigilant avec certains produits, dont l’utilisation n’est pas anodine sur la santé humaine et sur les écosystèmes. Les huiles essentielles, par exemple, peuvent avoir des effets importants sur les auxiliaires de culture.

Si les SNUB sont fabriquées par l’agriculteur.rice sur sa ferme, le processus de fabrication est également moins polluant que celui d’un produit phytopharmaceutique[5]. En effet, pour ce dernier, on peut citer plusieurs étapes de sa vie générant des impacts négatifs sur l’environnement : l’acquisition des ressources nécessaires à sa fabrication, sa fabrication et son emballage, sa distribution, son utilisation et la gestion de sa fin de vie. Dans un monde où 6 des 9 limites planétaires ont déjà été dépassées, la limitation des impacts environnementaux par l’utilisation de préparations naturelles faites “maison” n’est pas négligeable. Cela est évidemment particulièrement réalisable sur des exploitations de petites tailles, là où des exploitations de plusieurs dizaines voire centaines d’hectares préfèrent acheter des préparations dans le commerce, par souci de praticité et de faisabilité.

Étapes du cycle de vie d’un produit (Quantis, 2015)
Étapes du cycle de vie d’un produit (Quantis, 2015)

Pour autant, la principale différence entre les PNPP et les produits phytopharmaceutiques réside surtout dans la stratégie d’utilisation. Les PNPP s’inscrivent dans une démarche majoritairement préventive, à la différence des produits phytopharmaceutiques qui s’utilisent surtout en réponse à une problématique et donc en traitement curatif. La démarche préventive consiste à appliquer régulièrement le produit en amont de l’apparition d’un bioagresseur (qu’il soit maladie ou ravageur) ou d’un stress, afin de repousser voire d’empêcher son apparition. Cette démarche demande plus de temps à l’agriculteur.rice, mais permet de diminuer la quantité d’intrants apportés et donc l’indicateur de fréquence de traitement (IFT)[6]. Les PNPP étant généralement moins chers que les produits phytopharmaceutiques, d’autant plus s’ils sont fabriqués “maison”, le coût des intrants est donc plus faible dans le cas d’une stratégie préventive à base de PNPP. Cette stratégie permet également d’anticiper les stress possibles, limitant ainsi un maximum leurs effets sur la plante. Celle-ci est stimulée et renforcée naturellement par le PNPP et elle peut donc produire sans affronter de stress, ou alors à un niveau réduit. Dans le cas de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques, la réponse se fait une fois que la plante a déjà été soumise au stress.

Quelques exemples de préparations utiles réalisables à la ferme

Certaines préparations sont connues pour leur efficacité et étaient déjà utilisées il y a très longtemps en agriculture. Parmi elles, on trouve le purin d’ortie : il s’agit d’un extrait fermenté obtenu en laissant macérer des feuilles d’orties fraîches hachées dans de l’eau pendant 1 à 2 semaines selon la température ambiante. Le purin d’ortie est très riche en azote, c’est pourquoi il est principalement utilisé comme fertilisant. Il présente également un effet répulsif contre le puceron.

Fabrication d’un purin d’ortie (jour 0 et jour 8)
Fabrication d’un purin d’ortie (jour 0 et jour 8)

Le second purin le plus connu est le purin de prêle. La prêle, riche en silice, permet aux plantes de renforcer leurs tissus et donc d’être plus résistantes aux maladies fongiques. Le purin de prêle peut ainsi être utilisé pour lutter contre l’oïdium, le mildiou, la fonte des semis, la cloque du pêcher ou encore la tavelure.

Fabrication d’un purin de prêle (jour 0 et jour 7)
Fabrication d’un purin de prêle (jour 0 et jour 7)

La décoction d’ail est également très utilisée. Pour sa fabrication, il suffit de plonger des gousses d’ail hachées pendant 24h dans de l’eau, puis de porter le tout à ébullition à couvert, puis de laisser infuser une trentaine de minutes avant de filtrer. La décoction d’ail doit être utilisée immédiatement car elle ne se conserve pas. Elle peut être utile dans la lutte contre les pucerons, le mildiou, la rouille, la moniliose, la cloque de la vigne ou encore la cloque du pêcher.

Préparation d’une décoction d’ail
Préparation d’une décoction d’ail

Résultats de l’expérimentation menée sur notre ferme

Sur la ferme expérimentale de NeoFarm à Saint-Nom-la-Bretèche, nous menons des tests sur différents sujets agronomiques. En 2021, nous avons expérimenté l’utilisation du purin de prêle ainsi que du mélange de purin d’ortie et de prêle sur des blettes. Les purins étaient appliqués toutes les deux semaines en pulvérisation foliaire. Nous avons entre autres mesuré le taux de chlorophylle foliaire[7] des feuilles de blette et avons observé un taux 4% plus important pour la modalité traitée au purin de prêle par rapport au témoin non traité et 9% plus élevé pour la modalité traitée au mélange purin de prêle et purin d’ortie. Nous avons considéré la différence significative pour la modalité traité au mélange de purins. L’application de ces purins a donc permis une meilleure nutrition azotée de la culture et donc une meilleure efficacité photosynthétique.

Evolution du taux de chlorophylle foliaire au cours du temps
Evolution du taux de chlorophylle foliaire au cours du temps

Nous avons également pu observer une diminution de l’incidence des maladies sur les planches traitées au purin de prêle et au mélange de purin de prêle et d’ortie.

Incidence des maladies et des ravageurs selon les traitements
Incidence des maladies et des ravageurs selon les traitements

Les purins appliqués ont donc bien joué leur rôle de biostimulant et de protection contre les maladies.

Peu d’études scientifiques portant sur les PNPP ont été réalisées jusqu’à aujourd’hui ; il existe donc de nombreuses zones de flou autour de leur utilisation et de leur efficacité. Pourtant, la réappropriation de ces produits par les agriculteur.rice.s replace ce sujet au centre des débats. Plusieurs organismes s’y intéressent, comme le CTIFL, qui a récemment mené plusieurs études sur l’efficacité de diverses substances en protection des plantes.

Références

Pour aller plus loin

[1] Terme utilisé pour désigner tous les stress induits par des organismes vivants : les plus fréquents étant des champignons, des bactéries, des insectes, des nématodes, des adventices. Pour une plante, les stress biotiques peuvent être favorisés par son environnement et sont nécessairement facteurs de stress oxydatif (Biodevas Laboratoires, 2022).

[2] Les stress abiotiques sont des conditions de croissance sous-optimales causées, par exemple, par la sécheresse, l’excès d’eau, les températures extrêmes, le stress salin, les carences en minéraux et le ralentissement de la croissance ou les dommages à la suite d’une pulvérisation de produits phytosanitaires (Soiltech, 2022).

[3] Pour être commercialisée, une spécialité pharmaceutique doit obtenir préalablement une autorisation de mise sur le marché (AMM). L’AMM est demandée par un laboratoire pharmaceutique, pour sa spécialité, sur la base d’un dossier comportant des données de qualité pharmaceutique, d’efficacité et de sécurité, dans l’indication revendiquée. (Ministère de la santé et de la prévention, 2022)

[4] Recueil officiel, légal et obligatoire dans toutes les pharmacies d’un pays déterminé, contenant une description des médicaments d’usage courant en médecine et notamment : la formule de constitution, la composition analytique, les constantes physiques, les principales propriétés chimiques pouvant être utilisées pour leur identification et dans le cas des médicaments composés, la formule et le mode de préparation. (CNRTL, 2022)

[5] Les produits phytopharmaceutiques permettent de protéger les végétaux en détruisant ou éloignant les organismes nuisibles indésirables (y compris végétaux indésirables) ou en exerçant une action sur les processus vitaux des végétaux. (exemples : insecticides, fongicides, herbicides, acaricides, molluscicides, corvicides,…) (DRAAF PACA, 2022)

[6] L’Indicateur de Fréquence de Traitements phytosanitaires (IFT) est un indicateur de suivi de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques (pesticides) à l’échelle de l’exploitation agricole ou d’un groupe d’exploitations. L’IFT comptabilise le nombre de doses de référence utilisées par hectare au cours d’une campagne culturale. Cet indicateur peut être calculé pour un ensemble de parcelles, une exploitation ou un territoire. Il peut également être décliné par grandes catégories de produits (herbicides ; fongicides ; insecticides et acaricides ; autres produits). (Ministère de l’Agriculture et de la souveraineté Alimentaire, 2022).

[7] La chlorophylle est le principal pigment contenu dans les plantes. Elle se trouve dans les chloroplastes des cellules végétales. Elle est indispensable pour l’activité photosynthétique de la plante qui consiste à produire de l’énergie chimique à partir de l’énergie lumineuse du soleil captée par la chlorophylle.

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